
Secret
Elle voulait s’appeler Secret, prendre pour nom de famille une promesse et vivre dans la rue du Désir.
Dans quel pays ? Elle n’en savait rien. A vrai dire, elle n’avait nulle frontière et pour son âme, un royaume infini aurait à peine suffi.
Au cours de cette nouvelle vie – de ce rêve charmant -, Secret voulait être archéologue de profession, caressant avec véhémence le sol sacré d’une terre qu’elle adorait. Elle souhaitait même pouvoir tout tenir dans la paume de sa main mais toujours, malgré l’imagination, ce lieu demeurait une énigme à ses sens.
Pourtant il suffisait d’en exprimer la demande à haute voix pour que le sol s’ouvre et lui dévoile ses mystères…
Désespérée, c’est ce qu’elle fit avant de s’endormir, sans trop y croire puis, quand tombèrent les paupières, sous sa couche la terre céda.
Merveilles !
Secret pu voir sortir de la poussière un temple superbe, fait de colonnades et d’écritures mystiques, à travers lesquelles les vents des soupirs passaient pour réchauffer la pierre et donner vie aux espaces vides. Le toit, en forme de terrasse, arborait un magnifique chapeau de vergers où les pommiers étaient en fleurs et les fleurs courtisées par les abeilles. Ce temple jaillissait des profondeurs sans le moindre fracas, comme s’il se construisait à mesure qu’il apparaissait, dans un calme et une douceur qui chantait la beauté du silence. Le rythme de cette inaudible mélodie était soutenu par les battements de mille cœurs.
Soudain une lumière mauve, agréable, enveloppa la sainte bâtisse invitant Secret à y prendre résidence.
Elle entra dans la lumière…
Aussitôt, les colonnes tirèrent entres elles de larges rideaux occultant les rayons d’un soleil trop présent. Partout au plafond étaient tendues des toiles d’organza aux chatoyantes couleurs. Les sols étaient tapis de mousse, pierres polies et feuilles tendres.
Respectueuse, et avec l’impériale envie de sentir la peau de ce lieu sous ses pieds, Secret déchaussa ses bottes d’aventurière pour marcher pieds nus à même le sacré.
Des feux violets brûlaient dans un âtre immense au fond du temple qui paraissait loin, comme si c’était un horizon inatteignable. Elle voulait toucher ce feu, le posséder, en faire partie, en être transformée.
Elle voulait s’abreuver de flammes.
Tout le long du chemin qui y menait, se trouvaient des ravissements et trésors à effleurer, à étreindre, embrasser. Secret ne savait pas comment les toucher sans les insulter, alors ce sont ces mêmes ravissements qui vinrent à elle, tout autour d’elle. Il y avait de la magie, de l’invisible, des mains dégantées qui passaient sous son bustier, le délaçant à peine, qui décousaient son pantalon, faisaient rendre les armes à ses dentelles. Il n’y a que son parfum qu’elles ne lui ôtèrent pas, car en ce lieu les fragrances étaient plus qu’appréciées, dont une de choix qu’aucun parfumeur d’aucun monde ne pouvait reproduire.
Drapée dans un velours noir qu’un mystère avait posé sur ses épaules, Secret chancelante fléchit les genoux sous le délicieux malaise qui s’empara d’elle. Son regard fixait inlassablement le violet du feu qu’elle voyait augmenter au loin, puis elle renversa la tête. Un baiser échappé de la corolle d’une fleur écarlate était venu goûter à ses lèvres. Il lui semblait qu’un bouquet entier de ces baisers, frais et veloutés, la dévorait de jouissance jusqu’à s’infiltrer en elle, léchant la plus intime partie de ses profondeurs pour en extraire le fameux parfum dont se nourrissaient les fleurs d’ivresse.
Le sublime calvaire finit en un écho à peine perceptible dont l’énergie divine, couleur de plaisir, s’enfuit alors vers l’âtre pour s’y consumer dans une petite explosion pleine d’étincelles roses. Des flammèches représentant des silhouettes de femmes dansèrent un instant puis s’effacèrent.
Secret rejeta l’étoffe qui la couvrait et s’allongea sur le sol féerique qui se mit à scintiller, toujours un peu plus à mesure qu’elle l’embrassait. Faisant ainsi l’amour au temple, caressant du bout de la langue les galets ruisselants d’une eau pure et salée, elle allait ainsi, rampant nue, le regard embué d’exaltation, étreinte de toute part, possédée d’âme et de corps vers le feu qu’elle désirait plus que tout. Ce feu qui, dans sa prouesse amoureuse, se trouvait bientôt à quelques doigts, quelques souffles… Ce feu qu’elle découvrit être un amas de cristaux enflammés.
Alors envahie de fougue, dans la transe d’une impossible frénésie, les seins bandés sous l’embrasement, elle plongea à même l’améthyste dont elle but la moindre étincelle. Dans un fabuleux orgasme pyrotechnique, Secret mourut sur le bûcher du délice, consumée par le feu magique d’un temple recelant les secrets du monde, antre de la gardienne des Impossibles Plaisirs.
Texte issu du recueil de poèmes « Billets d’âme – Tome 2 – Le théâtre des langueurs »